Date de publication :
20/12/2021

  • Ecoutez le podcast du Pr Pierrick Poisbeau, Professeur en neurosciences à l’Université de Strasbourg et Directeur de recherche au CNRS. Il explique le rôle de l’hypnose dans le soulagement de la douleur chronique, ainsi que l'introduction de  celle-ci dans une prise en charge pluridisciplinaire.

  • Soulager la douleur chronique à travers l’hypnose

    Le titre de cette intervention comprend trois mots qui, pour le soignant, indiquent qu’il devra intervenir en terre inconnue, aux frontières des connaissances actuelles de la biologie et de la médecine.

    Si la douleur est une émotion désagréable qui est décrite comme familière, elle est surtout spécifique à chaque individu et exprimée de manière éminemment subjective (Raja et al., 2020). La plainte douloureuse doit également être reconnue et interprétée subjectivement par celui qui l’entend à la lumière de sa propre expérience. Ne pas sous-estimer cette double subjectivité et l’influence des facteurs socio-culturels, c’est poser un meilleur diagnostic. C’est également préparer un parcours de soins personnalisé et satisfaisant pour le patient. La plainte douloureuse et sa prise en compte est par exemple très variable selon le sexe biologique du souffrant et du soignant comme l’indique le biais de prescription d’antalgiques dans plusieurs pathologies douloureuses. Si l’on prend l’exemple du syndrome de l’intestin irritable, la prescription moyenne d’antalgiques sera presque deux fois supérieures pour une patiente prise en charge par un homme médecin plutôt que par une femme médecin (Hamberg et al., 2004)]. Ces influences socio-culturelles questionnent donc notre capacité à évaluer correctement la douleur. On pense aussi aux patients mal-communicants ou non-communicants dont la prise en charge peut se révéler très délicate.

    La dimension chronique de la douleur fait référence à la durée de 3 mois dans l’expression de syndromes douloureux. La douleur chronique devient maladie comme l’a récemment reconnue l’OMS dans sa classification internationale des maladies en 2019 (Treede et al., 2019). Comme pour toutes maladies chroniques, la persistance des symptômes indique que l’individu n’a pu trouver les ressources pour surmonter un dysfonctionnement somatique (soma=corps) et/ou psychique (sema=sens) entraînant ses symptômes. La maladie l’a changé. Il se trouve dans un autre état allostatique de fonctionnement et ses circuits nerveux ont été modifiés (i.e. plasticité) par la persistance des messages douloureux (Bushnell et al., 2013). On comprend ici pourquoi les traitements disponibles sont parfois peu efficaces. Face à la chronicisation de la douleur, nous nous métamorphosons en un autre et notre fonctionnement cérébral l’atteste ! L’enjeu sera de proposer de nouveaux traitements qui permettront soit de traiter les circuits modifiés de la douleur chronique ou de reprogrammer ces circuits de la douleur afin de retrouver l’efficacité des antalgiques traditionnels.

    C’est ici que l’hypnose intervient, tout comme d’autres interventions non-médicamenteuses (INM) proposées pour lutter contre les douleurs chroniques, comme l’activité physique adaptée, les thérapies manuelles, les thérapies cognitives et comportementales, la méditation respiratoire ou en pleine conscience, l’acupuncture ou la musicothérapie (liste non exhaustive). Les outils modernes de réalité virtuelle reprennent d’ailleurs certaines de ces procédures antalgiques. Nous en reparlerons plus tard. Depuis de dernières années, les interventions non médicamenteuses font partie intégrante des formations spécialisés transversales (FST) proposées aux étudiants de médecine. Ce sont des thérapies complémentaires (et non pas des thérapies alternatives) qui permettent de soulager efficacement certaines douleurs chroniques chez les patients. Certaines d’entre elles sont utilisées depuis des siècles de manière empirique et il n’est pas rare que les patients eux-mêmes y fassent appel en dehors de tout contrôle médical et souvent parce qu’ils sont insuffisamment soulagés par leurs traitements [In (SFETD, 2017), Livre Blanc de la Douleur].

    L’hypnose fait partie de l’arsenal thérapeutique pour lutter contre les douleurs chroniques

    Les écrits mentionnant l’utilisation de la transe hypnotique en médecine datent de la fin du XVIIIème siècle où le médecin allemand Franz Mesmer mobilisait un « fluide magnétique » chez ses patients pour les guérir miraculeusement. L’utilisation de ce « sommeil magnétique » fut également utilisé par la suite pour effectuer des opérations chirurgicales sans douleurs, non sans déclencher des réactions vives d’incrédulité jusqu’au XXème siècle (Hauser et al., 2016). L’hypnose soulève de nombreux fantasmes encore aujourd’hui et les bases scientifiques qui expliquent son efficacité commencent à être mieux connues (Rainville et al., 1999; Bioy, 2012; Oakley and Halligan, 2013). La pratique s’est donc logiquement installée progressivement à l’hôpital jusqu’à la fin des années 1990. Elle est maintenant bien installée dans l’arsenal des pratiques antalgiques depuis la publication des premiers articles de référence dans le domaine (Faymonville et al., 1995; Rainville et al., 1997; Lang et al., 2000; Gay et al., 2002; Derbyshire et al., 2004). Le bourgeonnement des formations à l’hypnose, de qualités inégales, pour les soignants et le grand public, soulève un point de vigilance cependant. Je ne peux que recommander aux cliniciens de se tourner vers des formations destinées exclusivement aux professionnels de santé, et sanctionnées par un diplôme universitaire (DU).

    Si l’on interroge maintenant les sujets ayant expérimenté l’hypnose, on peut déduire qu’ils se trouvent dans un état optimal de relaxation mentale avec élimination d’une partie des stimulations du monde extérieur tout en maintenant une attention soutenue que l’hypnopraticien peut facilement moduler. La transe hypnotique s’accompagne aussi d’une absence de jugement ou de censure, d’une suspension de l’orientation de lieu ou de temps. Elle permet une expérience de réponses quasi-automatiques qui autorise l’hypnopraticien à incorporer des suggestions hypnotiques dont celles d’analgésie.

    Avec de telles évidences qui confirment un état de conscience modifié, on se dit qu’il doit être possible d’observer une signature en imagerie cérébrale et en neurophysiologie. Les travaux d’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique de Pierre Rainville au sein du laboratoire Canadien de Catherine Bushnell ont permis d’y voir plus clair dans ce domaine. Ils indiquent que les suggestions hypnotiques antalgiques sont corrélées avec une diminution du métabolisme cérébral des cortex cingulaires antérieur (CCA) et insulaires (CI) chez des sujets sains exposés à une stimulation nociceptive chaude de 47°C. Compte tenu le rôle de ces aires corticales pour la mise en forme de la dimension affective et émotionnelle de la douleur, cette réduction est parfaitement en accord avec la baisse des scores de « désagréabilité » de la douleur, mesurée chez ces mêmes sujets sains (Rainville et al., 1997). Des résultats similaires ont pu être confirmé dans des études ultérieures, publiées par d’autres laboratoire (Maquet et al., 1999; Derbyshire et al., 2004). Les mêmes structures corticales sont impliquées lorsqu’une analgésie par manipulation de l’attention est effectuée (Oakley and Halligan, 2013), ou lors d’un effet placebo (Goffaux et al., 2007). Les suggestions hypnotiques faisant croire au sujet qu’il a une douleur activent également ces structures (Derbyshire et al., 2004) ! Parmi les pistes expliquant l’analgésie par suggestions hypnotiques, il semble également que les contrôles inhibiteurs des structures sous-corticales soient impliqué. Cela concerne les structures limbiques comme l’amygdale et des structures du tronc cérébral comme la substance grise périaqueducale qui envoie des projections inhibitrices sur la moelle épinière. Les suggestions analgésiques optimiseraient donc ces influences inhibitrices qui, au niveau de la moelle épinière, limitent voire empêchent la remontée des messages douloureux jusqu’au cortex (Goffaux et al., 2007).

    Comment introduire l’hypnose pour lutter contre les douleurs chroniques des patients ?

    Face à un patient douloureux chronique, il est tout d’abord possible de l’orienter vers les structures douleurs chroniques présentes sur l’ensemble du territoire. Consulter le site internet de la société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur permet d’identifier rapidement la structure la plus proche. Dans ces centres et consultations de 3ème ligne, la prise en charge est pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle. En plus des traitements médicamenteux traditionnels, de nombreuses interventions non-médicamenteuses pourront leur être proposés. L’hypnose en fait partie. Même si l’hypnose pratiquée par un hypnopraticien est particulièrement standardisée et efficace, une formation à l’autohypnose peut être aussi proposée aux patients pour une gestion quotidienne de leurs douleurs (Queneau et al., 2018).

    N’oublions pas que l’état hypnotique est fréquent dans notre quotidien lors d’une relaxation profonde, lors de la réalisation de tâches répétitives ne mobilisant pas nos fonctions cognitives complexes ou encore lors de soins. La douleur, elle-même fait partie des plus puissants inducteurs hypnotiques car elle focalise l’attention du patient sur sa propre sensibilité et les causes actives de ses maux. L’utilisation de l’hypnose médicale consiste alors à modifier cette attention, à modifier cette « mémoire » de douleur (dans le cas où la douleur est chronique) par des suggestions hypnotiques, vers une perspective de soulagement (Hauser et al., 2016). Dans ce dernier cas qui peut avoir lieu lors d’une visite chez le médecin généraliste (hypnose conversationnelle), il s‘agira d’utiliser cette « dissociation naturelle » pour installer un discours facilitant la relation thérapeutique. De ce point de vue, l’utilisation de la négation devra être évitée au maximum. Eviter par exemple les formules suivantes : « n’aie pas peur » « cela ne fera pas mal » et préférer celle-ci : « rassure-toi », ce n’est pas évident ce que tu vis » (Lang et al., 2005). Vous l’avez compris, on retrouve ici la fonction sociale du médecin comme médiateurs entre les contextes biologiques, psychologiques, sociaux et culturels. L’hypnose est donc un outil précieux car elle va pouvoir améliorer toutes les dimensions de la douleur et tout particulièrement les aspects contextuels. L’alliance thérapeutique, rendue fragile par l’expression d’une douleur chronique, peut alors être renouvelée par la transe hypnotique et surtout la qualité des suggestions entre le thérapeute et son patient (Hauser et al., 2016).

    La popularité des lunettes de réalité virtuelle pour le jeu vidéo a permis également de développer de nouveaux outils qui semblent très utiles dans la gestion de la douleur aigue, et peut-être un jour de la douleur chronique. L’environnement proposé dans ces outils de réalité virtuelle en immersion est apaisant et propice à la relaxation. Dans certains cas, des taches actives sont proposées permettant de fixer l’attention sur autre chose que la douleur et d’optimiser les contrôles descendants inhibiteurs dont nous avons parlé précédemment (Smith et al., 2020). Les techniques analgésiques de musicothérapie peuvent être ajoutées (Lunde et al., 2019) tout comme des protocoles de suggestion hypnotique. Cela permet d’envisager de mettre à disposition des patients douloureux chroniques ces outils, qui sont maintenant largement utilisés en secteur hospitalier à travers le monde. (Livre blanc). Le fait qu’ils ne présentent pas ou peu de contre-indications permet leur utilisation selon les besoins quotidiens des patients.

    Conclusion

    L’hypnose, qu’elle soit administrée en présentiel ou en réalité virtuelle, fait aujourd’hui partie des outils thérapeutiques qui permettent au couple médecin-patients de co-construire, dans une forme d’alliance thérapeutique, une offre de soin personnalisée pour améliorer la qualité de vie dans un contexte de maladie chronique.

    Références Bibliographiques

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     7000032557 – 11/2021