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Prodromes

Édito

C’est avec enthousiasme que nous avons accepté de coordonner l’édition d’une Gazette de la SEP, centrée sur des articles récents autour d’une même thématique. Pour ce premier numéro, nous avons choisi le thème des prodromes, car leur identification a permis d’élargir notre vision de la maladie et aura sans doute des conséquences sur le diagnostic, la prévention et le traitement. Nous espérons que le format de ce nouveau média et les sujets abordés vous plairont. Bonne lecture !

Dr Géraldine Androdias (Lyon)

Dr Caroline Bensa-Koscher (Paris)

1. 5 ans avant la SEP, un phénotype de mieux en mieux caractérisé

G. Androdias
1. Wijnands JM et al. Five years before multiple sclerosis onset: phenotyping the prodrome. Mult Scler 2019;25(8):1092-101.
2. Wijnands JM et al. Health-care use before a fi rst demyelinating event suggestive of a multiple sclerosis prodrome: a matched cohort study. Lancet Neurol 2017;16(6):445-51.

Dans l’étude publiée en 2019, l’équipe de Ruth Ann Marrie et Helen Tremlett, connue pour ses travaux épidémiologiques, a analysé les données de santé issues d’une cohorte canadienne de 17 153 patients atteints de SEP et les a comparées à celles issues de 82 946 sujets témoins appariés [1]. Les auteurs ont ainsi montré que dans les 5 ans qui précèdent le diagnostic de SEP, les patients ont eu, de manière significative comparativement aux sujets contrôles, un nombre plus élevé de consultations et d’hospitalisations en rapport avec des symptômes visuels, ORL, psychiatriques, génito-urinaires, digestifs et, plus largement, des “symptômes mal définis”. En revanche, il a été mis en évidence une diminution significative des consultations en lien avec la grossesse au cours de la même période chez les patientes comparativement aux sujets témoins. L’hypothèse avancée par les auteurs est que les patientes souffrant de symptômes gênants ou inexpliqués, surseoient ou renoncent à leur projet de grossesse.

Alors que le concept de prodromes est connu depuis plus de 20 ans dans la maladie de Parkinson, il n’a été clairement individualisé dans la SEP que très récemment, par l’équipe de H. Tremlett [2]. Dans leur étude princeps, les auteurs avaient mis en évidence une augmentation des soins de santé dans les 5 ans qui précédaient le diagnostic de SEP. Dans ce travail plus récent, sur une population similaire , ils ont analysé les motifs de consultation, afin de mieux cerner le phénotype clinique de cette phase prodromale.

2. Parfois 10 ans avant le diagnostic

G. Androdias
Disanto G et al. Prodromal symptoms of multiple sclerosis in primary care. Ann Neurol 2018;83(6):1162-73.

G. Disanto et al. ont identifié un phénotype similaire sur une cohorte de 10 204 patients atteints de SEP et 39 448 sujets témoins, avec une méthodologie comparable, en utilisant la base de données de santé du Royaume-Uni. Ils ont ainsi montré que des symptômes tels que les troubles urinaires, les troubles digestifs, l’anxiété, la dépression, l’insomnie, la fatigue, les céphalées et les douleurs de tout type étaient plus fréquemment retrouvés chez les patients atteints de SEP dans les 10 ans qui précédaient leur diagnostic. Par ailleurs, plus le nombre de symptômes présentés était important, plus le risque ultérieur de développer une SEP était élevé. La puissance de ces études de cohortes tient, d’une part, aux larges effectifs étudiés et, d’autre part, à l’utilisation de données de santé, qui permettent de s’affranchir du biais de mémorisation, c’est-à-dire du risque, chez les sujets malades, de surestimation a posteriori de symptômes peu spécifiques.

3. Focus sur certains symptômes et hypothèses physiopathologiques

G. Androdias
Almeida MN et al. Bowel symptoms predate the diagnosis among many patients with multiple sclerosis: a 14-year cohort study. Neurogastroenterol Motil 2019;31(6):e13592.

L’existence de certains symptômes chez des patients asymptomatiques sur le plan neurologique suggère l’implication d’autres mécanismes physiopathologiques que ceux habituellement avancés. Dans une étude portant sur 385 patients souffrant de SEP, environ un tiers d’entre eux présentaient des troubles digestifs, au premier rang desquels la constipation (50 %) et la diarrhée (30 %), en moyenne 3,7 ans (± 3,4) avant le premier épisode inflammatoire du système nerveux central. Ainsi, les troubles digestifs pourraient être liés non seulement à une atteinte centrale, médullaire en particulier, mais aussi à une atteinte précoce du système nerveux entérique ou à une altération du microbiote. De même, l’anxiété et la dépression, si elles peuvent être précessives, ne sont donc pas uniquement réactionnelles à l’annonce de la maladie et à ses conséquences.

4. Comorbidités prodromales

C. Bensa-Koscher
Chou IJ et al. Comorbidity in multiple sclerosis: its temporal relationships with disease onset and dose effect on mortality. Eur J Neurol 2020;27(1):105-12.

La distinction entre un symptôme prodromal et une comorbidité prodromale n’est pas toujours facile. Une étude anglaise récente, réalisée à partir de la base de données de soins primaires CPRD (clinical practice research datalink), remplie par les généralistes, a compilé les données de 2 526 patients atteints de SEP et 9 980 sujets témoins, de 1997 à 2006. Les prévalences de 9 catégories prédéterminées de comorbidités ont été quantifiées sur 2 périodes selon leur survenue : avant le diagnostic et au cours de la maladie. Leur influence sur la mortalité a aussi été étudiée. Au moment du diagnostic, 23 % des patients atteints de SEP avaient au moins 1 comorbidité, contre 17 % des sujets contrôles (p < 0,001).

Sur une fenêtre de 3 ans avant le diagnostic, les pathologies cérébrovasculaires (OR = 11,0), les troubles neurologiques et mentaux (OR = 3,6), les maladies vasculaires périphériques (OR = 3,3), les infarctus du myocarde (OR = 3,1), les hyperlipidémies (OR = 1,9) et les anémies (OR = 1,8) étaient surreprésentés. Au cours de la maladie, les patients atteints de SEP avaient plus de risque de développer une psychose (HR = 2,36), une dépression (HR = 2,32) ou un cancer (HR = 1,21). Les taux de mortalité à 5 ans étaient plus élevés pour les patients présentant une ou plusieurs comorbidités au moment du diagnostic, avec un effet-dose. Par rapport aux travaux précédents, cette étude montre que la phase prodromale de la SEP est associée à une augmentation de certaines comorbidités et que celles-ci influencent le pronostic.

5. Un substratum biologique

G. Androdias
Bjornevik K et al. Serum neurofilament light chain levels in patients with presymptomatic multiple sclerosis. JAMA Neurol 2020;77(1):58-64.

Une récente étude cas-témoins apporte, en parallèle, des arguments biologiques en faveur d’une phase prodromale de la maladie. K. Bjornevik et al. ont mesuré le taux de chaînes légères du neurofilament (NfL) dans le sérum prélevé de manière systématique et itérative chez des militaires américains. Ils ont ainsi montré que les sujets qui développaient une SEP (n = 30) avaient un taux sérique de NfL significativement plus élevé que les sujets témoins (n = 30) 6 ans avant l’apparition des premiers symptômes évocateurs de SEP.

Synthèse

Ces différentes études convergent vers l’existence d’une phase prodromale de la SEP caractérisée par des symptômes polymorphes, une surconsommation de soins de santé et une surreprésentation de certaines comorbidités dans les 5 à 10 ans précédant le diagnostic de SEP. L’intérêt est tout d’abord d’ordre physiopathologique. Il va notamment être intéressant de définir la place et les interrelations de ces 4 concepts : syndrome radiologiquement isolé, phase biologique prodromale, phase clinique prodromale et comorbidités prodromales, dans l’histoire naturelle de la maladie. La découverte de cette phase prodromale va sans doute également permettre d’améliorer notre connaissance des facteurs de risque de survenue de la SEP, possiblement communs d’ailleurs à certaines comorbidités. En effet, pour s’interroger sur l’existence d’un lien de causalité, il faut d’abord être certain que l’exposition à un facteur précède la survenue clinique mais aussi biologique de la maladie. Pour l’avenir, on peut enfin souhaiter qu’une meilleure identification de la phase prodromale de la SEP permette un diagnostic et, idéalement, un traitement plus précoces, ainsi que des actions de prévention sur les facteurs modifiables. Toutefois, à ce jour, le phénotype clinique seul paraît trop peu spécifique pour être utilisé à l’échelle individuelle, d’où l’intérêt de l’associer à différents biomarqueurs.

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La lettre du neurologue

7000038940 - 07/2022