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Facteurs de risque

Édito

L'épidémiologie nous a appris que la SEP est une maladie multifactorielle résultant d'une interaction entre des facteurs de risque environnementaux et un terrain génétique prédisposant.
Nous avons choisi de centrer notre sélection sur les facteurs de risque de description plus récente ou sur ceux pour lesquels une action est envisageable afin d'influer sur l'évolution de la maladie.

Dr Géraldine Androdias (Lyon)
Dr Caroline Bensa-Koscher (Paris)

1. Le rôle de surpoids à l'adolescence et chez l'adulte jeune

C. Bensa-Koscher
1. Milles P et al. Obesity in pediatric-onset multiple sclerosis: a french cohort study. Neurol Neuroimmunol Neuroinfl amm 2021;8(5):e1044.

2. Biström M et al. Leptin levels are associated with multiple sclerosis risk. Mult Scler 2021;27(1):19-27.

La surcharge pondérale dans l’enfance et l’adolescence commence à être identifiée comme un facteur de risque de développer une SEP. En France, l’indice de masse corporelle (IMC) de la population pédiatrique a augmenté dans les années 1970-1980 pour se stabiliser à la fin des années 1990. Cette étude française [1], rétrospective, cas-témoins, a comparé l’IMC de 60 patients atteints de SEP pédiatrique (SEP-P) au moment du diagnostic, à 113 sujets témoins hospitalisés en pédiatrie pour des pathologies non neurologiques et 18 614 sujets témoins sains. Parmi les garçons, la moyenne des IMC était significativement plus élevée dans la population SEP-P que dans les autres groupes. Chez les filles, la moyenne des IMC était plus élevée chez les patients SEP-P et les sujets témoins non neurologiques que chez les sujets témoins sains. Les marqueurs inflammatoires dans le liquide cérébrospinal (LCS) (bandes oligoclonales, hyper-protéinorachie, pléiocytose) étaient plus élevés chez les patients prépubertaires avec un IMC élevé. Les modèles animaux suggèrent que l’inflammation à bas bruit associée à l’obésité et à un niveau de leptine élevé pourrait induire une rupture de la barrière hémato-encéphalique (BHE). La leptine et d’autres adipokines pourraient également agir comme des médiateurs de l’inflammation activant différents types cellulaires au sein du système nerveux central (SNC). Une étude cas-témoins suédoise vient enrichir ces données à partir des concentrations sériques de leptine et d’insuline mesurées dans des prélèvements de sujets adultes, âgés de 18 à 40 ans, et conservées dans 6 biobanques [2]. Les échantillons de sang présymptomatiques de 649 personnes ayant ultérieurement développé une SEP, identifiées à partir du registre national, ont été comparés à ceux de 649 individus appariés. Le délai moyen entre le prélèvement et les premiers symptômes était de 8 ans. Des niveaux moyens de leptine semblables ont été mesurés chez les patients et les témoins. En revanche, une augmentation d’une unité du z-score de leptine était associée à un risque accru de développer une SEP chez les individus de moins de 20 ans (OR = 1,4 ; IC95 : 1,1-1,9) et chez tous les hommes (OR = 1,4 ; IC95 : 1,0-2,0). Les taux sériques de leptine apparaissent ainsi liés au risque de SEP à un âge jeune, mais pas aux âges plus avancés.

2. Un "nouvel organe" au rôle encore mal connu : le microbiote

C. Bensa-Koscher
1. Mirza A et al. The multiple sclerosis gut microbiota: a systematic review. Mult Scler Relat Disord 2020;37:101427.
2. Tremlett H et al. Gut microbiota in early pediatric multiple sclerosis: a case-control study. Eur J Neurol 2016;23(8):1308-21.

La flore constitutive du microbiote participe à l’homéostasie de l’organisme, notamment à certains mécanismes de régulation du système immunitaire. L’analogie avec d’autres pathologies auto-immunes et différentes études dans l’encéphalomyélite allergique expérimentale (modèle animal de SEP) suggèrent que le microbiote pourrait avoir une influence dans l’apparition de la maladie. Cette méta-analyse de l’équipe de H. Tremlett porte sur 13 études cas-témoins de qualité suffisante pour être sélectionnées[1]. Les travaux étudiaient la diversité de la flore intestinale en réalisant à partir d’échantillons de selles ou d’une biopsie de muqueuse intestinale, un séquençage NGS (next-generation sequencing) de régions ciblées d’ARN16S des procaryotes afin de définir des unités taxonomiques opérationnelles (operational taxonomic unit, OTU) (séquences proches à 97 %, consi- dérées comme un même taxon). Aucune étude n’a retrouvé de différence cas-témoins en “diversité alpha” (diversité intrinsèque à chaque échantillon). La majorité des études ne mettait pas en évidence de différence cas-témoins en “diversité bêta” (diversité comparative entre échantillons). Seules 4 études ont retrouvé de manière concordante, la présence en quantité moins importante de Prevotella, Faecalibacterium prausnitzii, Bacteroides coprophilus, Bacteroides fragilis, et plus élevée de Methanobrevibacter, Akkermansia muciniphila et Streptococcus chez les patients SEP comparativement aux sujets témoins. Il est difficile de dire si ces différences participent à l’étiopathogénie de la maladie, ou bien si elles en sont une conséquence. De nombreux biais rendent ces travaux difficiles d’interprétation, comme l’origine géographique, le mode de vie ou encore le traitement qui modifient le microbiote… Néanmoins, une étude de la même équipe, portant sur 17 patients atteints de SEP-P à un stade très précoce de la maladie (dans les 2 ans des premiers symptômes), sans montrer de différence de composition (diversité alpha et bêta) entre cas et témoins, retrouve des abondances relatives différentes de certaines bactéries, ce qui suggère que les différences sont subtiles et déjà présentes au départ de la maladie[2].

3. Le tabac nuit gravement à la santé... et à la SEP

G. Androdias
Rosso M et al. Association between cigarette smoking and multiple sclerosis: a review. JAMA Neurol 2020;77(2):245-253.

Cette revue récente de la littérature rappelle tout d’abord l’augmentation du risque de développer une SEP lorsqu’on est fumeur, démontrée par de larges études épidémiologiques depuis les années 2000, avec un risque relatif estimé en moyenne d’environ 1,5. D’ailleurs, l’accroissement du tabagisme chez les femmes au cours du XXe siècle est un des mécanismes avancés pour expliquer l’élévation du sex-ratio en défaveur des femmes. D’un point de vue physiopathologique, l’hypothèse qui prévaut est celle de l’induction d’une cascade pro-inflammatoire par la fumée de cigarette libérant des antigènes pulmonaires, normalement inaccessibles, et déclenchant l’activation de lymphocytes autoréactifs par antigénicité croisée. Cette réaction auto-immune semble être favorisée par des facteurs génétiques en lien avec le complexe majeur d’histocompatibilité. Le tabagisme est d’ailleurs un facteur de risque démontré dans d’autres pathologies auto-immunes telles que la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn ou encore le lupus. Le rôle neurotoxique de certains composants tels que les radicaux libres, les cyanates et le monoxyde de carbone est également suspecté. En revanche, la nicotine n’aurait pas de rôle pathogène propre (en dehors de son effet addictif) et le tabac à priser ou à chiquer n’est pas associé à une augmentation de la fréquence de la SEP. Chez les patients atteints de SEP, le tabagisme actif est associé à un risque plus élevé (+80 %) d’évolution secondairement progressive ainsi qu’à une progression plus rapide. Cette association est dose-dépendante, c’est-à-dire liée à la quantité et à la durée de l’exposition. Il semble également exister un lien entre le tabagisme et l’activité clinique – en termes de poussées – ou radiologique de la SEP, retrouvé de manière moins constante dans les études. Le rôle aggravant du tabagisme sur la SEP passe aussi probablement par les comorbidités potentielles qu’il peut engendrer (cardiovasculaires, cancéreuses et infectieuses notamment). Il persiste à l’heure actuelle des questions sur l’influence éventuelle du tabagisme passif (difficile à quantifier dans les études) et de la cigarette électronique sur la SEP. En conclusion, le tabagisme actif étant un facteur de risque démontré et modifiable de développer une SEP et, si celle-ci est déclarée, d’avoir une évolution plus péjorative, la proposition et l’aide au sevrage tabagique doivent vraiment faire partie intégrante de nos consultations.

4. Les particules fines aussi !

G. Androdias
Januel E et al. Fine particulate matter related to multiple sclerosis relapse in young patients. Front Neurol 2021;12:651084.

Les matières particulaires (PM) sont les particules (solides ou en aérosols) en suspension dans l’atmosphère terrestre. On distingue les particules en fonction de leur taille : PM10 dites “respirables”, PM2,5 dites “fines” et PM0,1 dites “ultrafines” selon que leur diamètre est inférieur à 10, 2,5 ou 0,1 μm. Les PM2,5 sont principalement émises à la suite de la combustion de carburants et de bois. Les particules diffèrent aussi par leur capacité de pénétration dans l’organisme : les PM2,5 et les PM0,1 sont capables d’atteindre la circulation plasmatique et les PM0,1 de traverser la BHE. L’exposition aux particules fines (PM2,5) a été associée à un risque plus élevé de cancers et de pathologies cardiovasculaires, mais aussi de diverses pathologies neurologiques dont la maladie d’Alzheimer, la SLA et la SEP. L’objectif de ce travail français était de rechercher un lien entre l’exposition aux PM2,5 et le risque de poussée de SEP. Cette étude rétrospective en crossover (le patient étant son propre témoin) a porté sur plus de 2 000 hospitalisations pour probables poussées de SEP dans 5 centres de la région parisienne et a analysé la concentration atmosphérique de PM2,5 dans la zone de résidence des patients, semaine par semaine, dans les 6 semaines qui ont précédé l’admission. Une corrélation statistiquement significative (OR = 1,21 ; IC95 : 1,01-1,46) a ainsi été mise en évidence entre le taux de PM2, 5 mesuré 3 semaines avant l’admission et le risque d’hospitalisation pour poussée, en particulier chez les patients de moins de 30 ans. Malgré quelques limites méthodologiques, cette étude originale va dans le sens d’un lien encore peu connu entre la pollution atmosphérique et la SEP.

Synthèse

Au-delà des facteurs de risque bien identifiés de développer une SEP tels que le degré d’exposition solaire/ la carence en vitamine D, l’infection au virus d’Epstein- Barr, le tabagisme ou l’obésité, d’autres pistes sont en cours d’exploration, comme la pollution atmosphérique et le microbiote intestinal. Certains de ces facteurs pourraient également avoir un rôle aggravant sur l’évolution de la SEP une fois la maladie déclarée. Ils vont donc probablement prendre une part grandissante dans notre pratique clinique.

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La lettre du neurologue

7000038940 - 07/2022