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Cognition

Édito

Les troubles cognitifs liés à la SEP sont précoces, fréquents et handicapants. Des études récentes visent à une caractérisation facilement utilisable en pratique, dans le but de mieux identifier le lien entre structure et fonction, de guider les choix thérapeutiques et de proposer une neuro-réhabilitation aussi individualisée que possible.

Dr Géraldine Androdias (Lyon)
Dr Caroline Bensa-Koscher (Paris)

1. Des phénotypes cognitifs plus variés qu’on ne le pense

C. Bensa-Koscher
De Meo E et al. Identifying the distinct cognitive phenotypes in multiple sclerosis. JAMA Neurol 2021;78(4):414-425.

Sortant de la classification dichotomique classique – atteint versus préservé –, cette étude transverse multicentrique de 1 212 patients atteints de SEP stable a permis de décrire 5 phénotypes cognitifs grâce à une méthodologie permettant de passer du quantitatif au qualitatif en regroupant des données continues comme les variables de catégories latentes.

  • Cognition préservée : 19,4 % des patients.

  • Atteinte légère de la mémoire verbale et des fluences sémantiques : 29,9 % des patients, et association IRM avec un volume hippocampique moyen diminué. Ces 2 phénotypes concernaient des patients plutôt jeunes et avec une durée de maladie courte.

  • Atteinte légère multi-domaines : 19,5 % des patients, et association radiologique avec un volume cortical moyen diminué.

  • Atteinte sévère des fonctions exécutives et de l’attention : 13,8 % des patients, et association avec un volume lésionnel T2 moyen augmenté.

  • Atteinte sévère multi-domaines : 17,5 % des patients, et association IRM avec une atteinte diffuse, une diminution du volume de toutes les structures explorées sauf les noyaux caudés, les pallidum et les amygdales.

Les 2 profils d’atteinte sévère étaient souvent associés aux formes progressives de la maladie et à un handicap plus important. Cette caractérisation de phénotypes cognitifs homogènes identifiés par un profil clinique et radiologique spécifique pourrait constituer un complément de l’évaluation EDSS.

2. Au-delà d’un certain seuil, la structure contraint la fonction

C. Bensa-Koscher
Koubiyr I et al. Structural constraints of functional connectivity drive cognitive impairment in the early stages of multiple sclerosis. Mult Scler 2021;27(4):559-567.

Cette étude bordelaise a exploré la relation entre les dommages structurels et les remaniements fonctionnels chez 31 patients après un syndrome cliniquement isolé (Clinically Isolated Syndrome, CIS) et leur lien avec la performance cognitive. Les visites de départ, à 1 an et à 5 ans, comprenaient des imageries en tenseur de diffusion pour mesurer l’atteinte microstructurelle, des IRM fonctionnelles de repos, un examen neurologique et des tests cognitifs. Le couplage structurefonction était calculé comme le coefficient de corrélation entre les forces des réseaux structurel et fonctionnel. À 1 an, les connexions structurelles étaient diminuées, les réseaux structure-fonction peu couplés et la performance cognitive préservée, ce qui suggère des mécanismes de compensation incluant une réorganisation fonctionnelle. En revanche, à 5 ans, les connexions étaient plus nombreuses sur les plans structurel et fonctionnel et le couplage structure-fonction était augmenté, associé à une dégradation clinique et cognitive. Ce travail suggère que, au cours des 5 premières années après le CIS, le dommage structurel progressant, il atteint un seuil au-delà duquel il contraint la réorganisation fonctionnelle. Cette réorganisation se limitant, l’encéphale deviendrait moins apte à s’auto-reconfigurer, occasionnant une baisse des performances cognitives.

3. Dépression et troubles cognitifs : apport des tests multitâches

G. Androdias
Glukhovsky L et al. Depression and cognitive function in early multiple sclerosis: multitasking is more sensitive than traditional assessments. Mult Scler 2021;27(8):1276-1283.

Cette étude américaine porte sur un échantillon de 185 patients atteints de SEP récurrente-rémittente (RR) diagnostiquée depuis moins de 5 ans, issu de la cohorte RADIEMS (Reserve Against Disability In Early MS). Les patients avaient un âge médian de 34,4 ans et un score EDSS médian de 1,0. Leurs résultats ont été comparés à ceux de 50 sujets sains appariés sur l’âge, le sexe et le Quotient Intellectuel prémorbide estimé. L’évaluation neuropsychologique consistait en une batterie de 4 tests visant à évaluer l’efficience cognitive (“ vitesse”) – dont le SDMT (Symbol Digit Modalities Test) et le Stroop – et de 4 tests visant à évaluer la mémoire avec, à l’issue, le calcul de 2 scores composites “vitesse” et “mémoire”. Puis les patients réalisaient une épreuve multitâche en 3 étapes : vitesse de décision, attention auditive puis les 2 simultanément. Les scores de dépression selon l’échelle de Beck étaient significativement plus altérés chez les patients par rapport aux sujets contrôles. La dépression était très significativement corrélée aux résultats de l’épreuve multitâche et, dans une moindre mesure, au score composite “vitesse” ainsi qu’au Stroop, mais pas aux autres tests. De plus, les patients atteints de SEP étaient moins performants dans l’épreuve multitâche que les sujets contrôles, mais cette différence n’était plus significative lorsqu’un ajustement était réalisé sur le score de dépression. La dépression joue donc probablement un rôle important dans les difficultés en situation multitâche chez les patients SEP récemment diagnostiqués. En somme, les symptômes dépressifs sont mieux corrélés aux tests multitâches qu’aux traditionnels tests monotâches, y compris si l’on utilise des scores composites. En effet, les épreuves multitâches nécessitent de contrôler de manière flexible et sélective son attention en inhibant les réponses automatiques à certains stimuli extérieurs. Il paraît donc intéressant de les intégrer systématiquement dans les batteries de tests réalisées chez les patients SEP, car elles reflètent probablement mieux la gêne fonctionnelle ressentie dans leur vie quotidienne. Cette étude confirme la corrélation forte entre dépression et troubles cognitifs, tout en soulignant que corrélation n’équivaut pas à lien de causalité. On peut ainsi émettre l’hypothèse que la dépression impacte de manière négative le fonctionnement cognitif, mais aussi que le dysfonctionnement cognitif génère des symptômes dépressifs ou enfin que ces 2 symptômes sont tous 2 la conséquence d’un même processus physiopathologique. Quoi qu’il en soit, il paraît indispensable de dépister et de prendre en charge précocement la dépression, y compris chez les patients récemment diagnostiqués, pour un fonctionnement cognitif optimal.

4. Le sport : la solution à tous les problèmes ?

G. Androdias
Tasci I et al. Physical exercise may improve problem-solving skills and emotional intelligence in patients with relapsing-remitting multiple sclerosis: a cross-sectional study. Mult Scler Relat Disord 2022;59:103641.

Le bénéfice de l’activité sportive sur la fatigue et d’autres symptômes physiques liés à la SEP n’est plus à démontrer. Ce bénéfice est probable sur les troubles cognitifs, même si les études cliniques sont moins nombreuses. Dans ce travail conduit par une équipe turque, 36 patientes atteintes de SEP-RR âgées de 18 à 45 ans et ayant un EDSS compris entre 1 et 3 ont participé à un programme d’activité physique pendant 12 semaines. L’entraînement avait lieu 3 fois par semaine sous la supervision d’un kinésithérapeute et comprenait des exercices de renforcement musculaire basés sur la répétition, comme des squats, puis un entraînement aérobie sur bicyclette ergométrique (10 minutes à 60-70 % de la VO2max, c’est-à-dire la capacité aérobie maximale). Il a été montré une amélioration significative de la quasi-totalité des paramètres par rapport au bilan d’entrée dans le programme : fréquence cardiaque maximale et VO2max ; paramètres physiques et mentaux d’une échelle de qualité de vie (SF-12, version courte de la SF-36) ; items liés à la dépression (mais pas à l’anxiété) de l’échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression) ; paramètres physiques et cognitifs d’une échelle d’auto-évaluation de la fatigue (Modified Impact Fatigue Scale, MFIS). Surtout, l’originalité de cette étude est de s’être intéressée à l’intelligence émotionnelle et aux compétences pour résoudre des problèmes (qui font probablement partie intégrante de la première), significativement améliorées également. L’intelligence émotionnelle correspond à la capacité de percevoir, analyser et maîtriser ses propres émotions et de composer avec celles des autres. Elle a été évaluée grâce à une échelle basée sur 30 items portant sur la conscience et la régulation des émotions, la motivation personnelle, l’empathie et la gestion des relations sociales. Bien que portant sur un faible effectif, cette étude a permis de mettre en lumière l’intelligence émotionnelle, qui est probablement un déterminant majeur de la qualité de vie. En tant que cliniciens, elle nous apporte aussi des éléments utiles quant à des échelles d’auto-évaluation relativement simples à utiliser et aux conseils pratiques que nous pourrions donner à nos patients sur le type d’entraînement physique à préconiser.

Synthèse

Nous avions parfois l’impression d’avoir fait le tour de la question concernant les troubles cognitifs liés à la SEP. C’est pourquoi nous avons sélectionné des travaux récents qui sortent des corrélations anatomocliniques désormais bien connues et qui visent à améliorer la description, la compréhension et la prise en charge du handicap cognitif lié à la maladie.

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La lettre du neurologue

7000042490 – 04/2023