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Le top 5 des publications 2022

Édito

Il nous a été confié la tâche difficile de sélectionner les 5 sujets qui ont marqué, selon nous, l’année 2022 dans le domaine de la SEP. Nous sommes assez vite tombées d’accord sur le retour en force de l’EBV, la montée en puissance du NfL et de l’index kappa ainsi que sur l’émergence du concept de PIRA et d’un de ses probables corrélats anatomopathologiques, les SEL. Beaucoup d’acronymes sur lesquels vous trouverez plus d’explications dans les lignes qui suivent !

Dr Géraldine Androdias (Lyon)
Dr Caroline Bensa-Koscher (Paris)

1. EBV, le coupable idéal

G. Androdias
1. Bjornevik K et al. Longitudinal analysis reveals high prevalence of Epstein-Barr virus associated with multiple sclerosis. Science 2022;375(6578):296-301.
2. Lanz TV et al. Clonally expanded B cells in multiple sclerosis bind EBV EBNA1 and GlialCAM. Nature 2022;603(7900):321-7.

L’implication du virus d’Epstein-Barr (EBV) dans la physiopathologie de la SEP est suspectée depuis de nombreuses années. L’originalité de l’étude de K. Bjornevik et al. [1], qui a “fait le buzz” en début d’année 2022, tient d’abord au fait qu’elle porte sur plus de 10 millions de soldats américains suivis de manière prospective sur les plans clinique et biologique. 801 cas de SEP, diagnostiqués au cours du suivi, et pour lesquels plusieurs échantillons sériques prélevés avant le diagnostic étaient disponibles, ont été analysés et appariés à 1 566 contrôles. Parmi eux, seul 1 patient présentait une sérologie EBV négative sur le dernier prélèvement précédant le diagnostic de SEP. À l’entrée dans la cohorte, 35 “futurs” patients SEP et 107 contrôles étaient séronégatifs pour l’EBV. Au cours du suivi, le taux de séroconversion était de 97 % pour les patients qui allaient développer une SEP versus 57 % chez les contrôles, avec un délai médian estimé de 7,5 ans entre la séroconversion et le début de la SEP, ce qui revient à dire que le risque de développer une SEP était 32 fois plus élevé en cas de séroconversion qu’en cas de séronégativité persistante. Ces résultats n’étaient retrouvés ni pour les anticorps anti-CMV, ni pour les anticorps antivirome (test basé sur le génome de tous les virus pathogènes connus), écartant ainsi l’hypothèse d’une relation de causalité inverse, c’est-à-dire qu’une dérégulation du système immunitaire liée à la SEP favoriserait la survenue d’infections en général. Parallèlement, T.V. Lanz et al. [2] ont isolé, à partir de clones de lymphocytes B issus du liquide cérébrospinal (LCS) de patients SEP, un anticorps reconnaissant avec une forte affinité le facteur de transcription de l’EBV EBNA1, mais aussi une protéine d’adhésion des cellules gliales (GlialCAM), renforçant l’hypothèse du mimétisme moléculaire et donc d’une réaction immunitaire croisée entre des antigènes viraux et des antigènes du système nerveux central. De plus, ces anticorps dirigés contre EBNA1 et GlialCAM étaient retrouvés dans le sérum de 20 à 25 % des patients SEP, alors que chez les individus sains, ils présentaient uniquement une réactivité contre EBNA1. Toutes ces données convergent dans le sens d’un lien mécanistique entre l’infection par EBV et la SEP et posent la question de l’intérêt préventif d’un vaccin dirigé contre EBV. À plus court terme, puisque l’infection par EBV semble un facteur nécessaire (mais probablement pas suffisant) pour développer une SEP, faut-il utiliser la sérologie EBV comme biomarqueur diagnostique avec une excellente valeur prédictive négative ?

2. NfL sérique, un marqueur d’activité inflammatoire de la maladie utilisable... avant la maladie

C. Bensa-Koscher
Rival M et al. Neurofilament light chain levels are predictive of clinical conversion in radiologically isolated syndrome. Neurol Neuroimmunol Neuroinflamm 2022;10(1):e200044.

La technologie ultrasensible Simoa® permet dorénavant des dosages précis de neurofilaments à chaîne légère sérique (sNfL). Le neurofilament est relargué des axones endommagés et reflète les dommages neuro-axonaux dans de nombreuses pathologies. Dans la SEP, le taux de sNfL semble être davantage corrélé à l’activité inflammatoire de la maladie (plaques actives et poussées) qu’aux processus neurodégénératifs qui sous-tendent la progression ; son taux est également associé à la réponse au traitement et au pronostic à long terme. Dans cette étude rétrospective tricentrique (Istanbul, Nice, Nîmes), des dosages de NfL dans le sérum et dans le LCS ont été réalisés au moment du diagnostic de syndrome radiologiquement isolé (SRI) chez 57 et 50 patients respectivement, à partir de prélèvements conservés en biobanques. Durant le suivi médian de 23 mois, 47 patients ont présenté une activité radiologique (AR) après un délai médian de 11,1 mois et 36, une conversion clinique (CC) après un temps médian de 12,6 mois. En analyse de survie, des taux moyens ou élevés (soit > 5 pg/mL) de sNfL étaient prédictifs d’AR, comme la présence de lésions infratentorielles et de bandes oligoclonales (BOC) d’IgG. À noter que cette relation n’était pas linéaire, mais présentait un effet seuil. En analyse multivariée, des taux supérieurs à 5 pg/mL de sNfL étaient des facteurs prédictifs indépendants de CC, comme la présence de lésions médullaires et de BOC. Ainsi, si d’autres travaux reproduisent ces résultats, on disposera d’un marqueur sérique permettant de stratifier, avec les autres facteurs pronostiques, les SRI les plus à risque...

3. BOC ou kappa : faut-il vraiment choisir ?

G. Androdias
Arrambide G et al. The kappa free light chain index and oligoclonal bands have a similar role in the McDonald criteria. Brain 2022;145(11):3931-42.

La valeur diagnostique des bandes oligoclonales (BOC) d’IgG dans le LCS n’est plus à démontrer. Dans les critères de McDonald 2017, elles peuvent même se substituer au critère de dissémination dans le temps (DIT). Cependant, leur mise en évidence est chronophage et nécessite une certaine expertise de l’opérateur. Depuis quelques années, un intérêt croissant a été porté sur la détection dans le LCS des chaînes légères libres kappa (CLLK), sécrétées elles aussi par les plasmocytes, et le calcul d’un index défini par la formule suivante : (CLLK LCS/sérum)/(albumine LCS/sérum) qui est une technique plus rapide, automatisée et donc reproductible. L’équipe barcelonaise a cherché ici à évaluer l’apport de l’index de CLLK, et ce à différents seuils (5,9, 6,6 et 10,61), sur 214 patients issus de leur cohorte de CIS (clinically isolated syndrome). Des BOC étaient retrouvées chez 64,5 % des patients, soit une proportion équivalente à celle des patients dont le LCS contenait des CLLK-5,9 et -6,6 (respectivement 63,6 % et 63,1 %) et un peu supérieure à celle des patients avec CLLK-10,61 (58,9 %) ; l’index d’IgG n’étant positif que dans moins de la moitié des cas (47,2 %). Le degré de concordance le plus élevé était retrouvé entre les BOC et les CLLK-6,6 (87,4 %, r = 0,727), suivi de près par les CLLK-5,9. Les auteurs ont ensuite analysé la validité des différents tests par rapport au risque de présenter une 2e poussée, ou de remplir les critères 2017 de dissémination spatiale (DIS) et DIT à 5 ans de suivi. Dans les 2 cas, les CLLK-5,9 et -6,6 étaient associées à une meilleure sensibilité et spécificité que les BOC, ce qui représentait un gain de précision pour le diagnostic de SEP de 4 à 5 %. En conclusion, l’index de CLLK est un biomarqueur fiable qui pourrait remplacer la recherche de BOC lorsque celle-ci n’est pas possible dans certains centres, ou venir en complément pour améliorer encore la précision diagnostique. Les auteurs suggèrent donc que cet index soit intégré dans les futurs critères diagnostiques.

4. Et si les différents phénotypes de SEP étaient intriqués dès le départ ?

C. Bensa-Koscher
Portaccio E et al. Progression is independent of relapse activity in early multiple sclerosis: a real-life cohort study. Brain 2022;145(8):2796-805.

Cette année a vraiment confirmé l’émergence du concept de progression indépendante des poussées (progression independent of relapse activity, PIRA). L’accumulation du handicap dans la SEP peut être la conséquence d’une progression associée à une poussée (relapse associated worsening, RAW), mais aussi d’une progression continue, indépendante des poussées. La reconnaissance du phénomène de PIRA a été facilitée par plusieurs études de cohortes longitudinales, importantes et de qualité. Dans ce travail à partir du registre italien de SEP portant sur 5 169 patients CIS ou diagnostiqués SEP récurrente-rémittente (RR) depuis moins de 5 ans, la progression, définie par une augmentation de l’EDSS confirmée à 6 mois, a concerné 45,4 % des patients et a été classée en PIRA ou RAW en fonction de l’association temporelle avec les poussées. Sur un suivi médian de 11,5 ± 5,5 ans, il a été mis en évidence une PIRA chez 27 % des participants et une RAW chez 17,8 %. La PIRA était associée à un âge de début de la maladie plus élevé, une forme RR plutôt que CIS, une durée de la maladie plus longue au diagnostic, un EDSS plus bas et une plus faible fréquence de poussées. Une durée plus longue d’exposition aux traitements quels qu’ils soient était associée à un risque plus faible de PIRA et de RAW. Ces données montrent qu’une progression insidieuse existe dès le début de la SEP-RR, suggérant que les phénomènes inflammatoires et neurodégénératifs sont intriqués en un continuum pathologique, dans lequel l’âge serait le principal facteur déterminant du phénotype.

5. Sous la progression indépendante des poussées, des lésions qui s’étendent lentement...

C. Bensa-Koscher
Calvi A et al. Slowly expanding lesions relate to persisting blackholes and clinical outcomes in relapse-onset multiple sclerosis. Neuroimage Clin 2022;35:103048.

Les lésions de SEP sont classées en différents types (actives, remyélinisées, chroniques actives, chroniques inactives). Les lésions actives durent de quelques jours à quelques semaines et sont suivies d’une remyélinisation de degré variable. Certaines lésions évoluent vers un stade chronique actif caractérisé par un centre hypocellulaire et une bordure lésionnelle emplie de macrophages et de microglie activés riches en fer, conduisant à une expansion radiale, avec aggravation des dégâts myéliniques, perte axonale et gliose. Ces lésions chroniques actives sont une explication plausible à l’aggravation du handicap indépendante de la formation de nouvelles lésions. Les lésions d’expansion lente (slowly expanding lesions, SEL) sont des marqueurs de lésions chroniques actives en IRM. Dans cette étude rétrospective avec 12 ans de suivi à partir des centres de Queen- Square, Sienne et Milan, 135 patients SEP-RR ont été étudiés radiologiquement à 3 points temporels, et les SEL étaient identifiées à l’aide de cartes de champs de déformation à partir des 4 007 lésions T2 segmentées manuellement à l’inclusion. 86 % des patients présentaient des SEL, avec un nombre médian de 6 par patient. On retrouvait une association entre le volume des trous noirs et des SEL, à l’échelle du groupe et en intra-individuel. Avec le temps, les SEL montraient une diminution de leur intensité T1 accompagnée d’une diminution du ratio de transfert de magnétisation (MTR). L’aggravation de l’EDSS était corrélée à l’augmentation de volume des SEL, y compris dans une sous-cohorte de patients en début de maladie. Cette étude met en évidence que dans la SEP rémittente, même à un stade précoce, les SEL sont fréquentes, associées à des marqueurs de dommage axonal et de démyélinisation que sont l’hypo-intensité T1 et la réduction du MTR, et qu’elles sont corrélées à la progression du handicap, indépendamment du volume lésionnel ou de l’atrophie.

Synthèse

L’année 2022 a donc confirmé l’intérêt diagnostique et pronostique des biomarqueurs que sont l’index des chaînes légères kappa dans le LCS et le neurofilament sérique. Elle a également été marquée par des publications renforçant nos connaissances sur la physiopathologie de la SEP, en particulier dans son déclenchement et sa phase précoce. Que nous réserve 2023 ?

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7000040492 - 01/2023