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Mais existe-t-il des circonstances dans lesquelles médecine prédictive et médecine de précision peuvent se rencontrer ? Quelles sont les questions éthiques et déontologiques qui en découlent ? Tentons d’apporter des éléments de réponse...

Lire aussi : Médecine de précision : de quoi parle-t-on ?

Médecine prédictive : prévenir plutôt que guérir ?

L’expression « médecine prédictive » a été popularisée par le Professeur Jacques Ruffié dans les années 90. Elle fait référence aux capacités de la médecine, en particulier la génétique, de prévoir les affections qui toucheront une personne. Cette médecine est donc basée sur l’anticipation et s’adresse non pas à des patients, des malades, mais à des personnes saines susceptibles de développer une pathologie donnée.1-3

Elle s’appuie sur une cartographie personnalisée des facteurs de risque d’une personne et intervient en amont de la médecine préventive, bien qu’ayant des buts similaires. Elle va ainsi permettre de faire un ciblage des personnes ayant besoin de telle ou telle mesure de prévention, plusieurs années avant l’apparition de la maladie.4

Ainsi, nous sommes maintenant capables d’identifier des anomalies ou des prédispositions génétiques à certaines maladies telles que certains cancers, certaines maladies neuromusculaires, cardiaques ou encore neurodégénératives, dans le cadre d’un diagnostic présymptomatique.7 D’ailleurs le diagnostic des prédispositions génétiques à certaines formes de cancer est inscrit dans les plans cancer successifs depuis près de 20 ans. Il est mis en œuvre dans le cadre du dispositif national d’oncogénétique dont le but est d’identifier les personnes prédisposées (héréditairement) au cancer pour leur proposer des mesures de suivi et de prévention appropriées. Le dépistage peut être étendu aux autres membres de la famille : on parle alors de dépistage en cascade.1

Dans certains pays comme Chypre, le fait de rendre le dépistage préconceptionnel systématique pour la β-thalassémie a contribué à la disparition de cette maladie puisqu’aucun cas n’a été enregistré au cours des vingt dernières années.5,6

La valeur prédictive des tests génétiques est toutefois à nuancer. En effet, des tests fiables existent pour les maladies dues aux mutations d’un seul gène, mais dans la plupart des maladies, d’autres facteurs sont impliqués (plusieurs gènes impliqués, facteurs environnementaux…).3

Médecine prédictive et pharmacogénétique : même combat ?

La pharmacogénétique est parfois considérée comme faisant partie de la médecine prédictive. Pourtant, elles n’ont pas tout à fait les mêmes objectifs. La pharmacogénétique désigne l’étude du lien entre certaines caractéristiques génétiques constitutionnelles (ou héréditaires) d’un individu et la réponse de l’organisme à un traitement. Son objectif est de repérer les patients qui pourront tirer un bénéfice de ce traitement, ce qui est essentiel pour éviter les prescriptions inutiles. Contrairement à la médecine prédictive, elle s’applique donc à des personnes déjà malades.1,8

Quand médecine prédictive et médecine de précision s’entrecroisent

La médecine de précision, quant à elle, est la médecine qui permet d’adapter le traitement aux caractéristiques du patient. Médecine de précision et médecine prédictive font toutes deux appel à l’analyse du génome, cependant la médecine de précision va s’intéresser à la génétique somatique là où la médecine prédictive va s’intéresser à la génétique constitutionnelle. La médecine de précision traite un patient pour une pathologie définie alors que la médecine prédictive a pour but d’éviter ou au moins d’atténuer la maladie ou encore retarder son apparition.2

Ces deux médecines semblent donc évoluer en parallèle, sans jamais se croiser. Et pourtant... L’arrivée des nouvelles technologies de séquençage rend possible l’accès à de plus en plus de données génétiques et la découverte de certains marqueurs de pharmacogénétique qui peuvent également être impliqués en prédisposition génétique va créer des occasions de se rencontrer pour les 2 types de médecine dont nous parlons. En pratique, certains marqueurs utilisés en médecine de précision peuvent se révéler être des mutations prédisposant à certains cancers. Il peut donc y avoir une tension entre la recherche d’une stratégie thérapeutique adaptée et la découverte d’une information génétique constitutionnelle.2

Le cas des gènes BRCA

On peut citer l’exemple des inhibiteurs PARPS qui sont efficaces uniquement contre des cancers impliquant des mutations des gènes BRCA. Or les gènes BRCA1 et BRCA2 sont identifiés comme pouvant augmenter les risques de cancer en cas de mutation. Une mutation du gène BRCA1 entraîne à 70 ans un risque cumulé de cancer du sein de 65 % et de l’ovaire de 40 % versus 10 % et 1 % dans la population générale.2

Connaissant ce risque, il est possible de proposer une prévention adaptée chez les personnes saines porteuses de cette mutation. Ainsi dans le cancer du sein, une surveillance accrue est mise en place : surveillance annuelle par IRM et mammographie et échographie dès 30 ans, et une chirurgie prophylactique peut être discutée.2

Génétique, éthique et déontologie : jusqu’où peut-on aller ?

Cette question posée par le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) en 2016 est plus que jamais d’actualité. Dans le cas de la médecine prédictive, des questions éthiques et déontologiques se posent à plusieurs niveaux.7

D’une part le problème se pose dès lors que la médecine prédictive permet de catégoriser des personnes « génétiquement malades » dès l’enfance, alors que celles-ci ne seront peut-être jamais « cliniquement » malades (cancers, maladies cardiovasculaires, métaboliques héréditaires…) ou alors bien des années plus tard. Il est en effet compliqué de savoir si l'on doit dire à des adultes plus ou moins bien portants, des parents ou des enfants, ce qui les attend à plus ou moins brève échéance. Sachant qu’avoir connaissance de ces informations pourrait impacter de façon considérable l’ensemble de leur vie bien au-delà de la maladie (travail, prêts bancaires, choix de vie…).3,4

De la maladie individuelle... à la maladie familiale

D’autre part, au-delà de ces considérations éthiques, le patient doit aussi avoir conscience que les tests génétiques constitutionnels, c’est-à-dire portant sur l’hérédité, le place au sein de son histoire familiale. Ce qui n’est pas le cas de tests génétiques portant sur les cellules somatiques utiles uniquement pour l’individu prétendant au test, pour le choix d’une stratégie thérapeutique adaptée à sa situation et le suivi de sa maladie. 

Les tests portant sur l’ADN constitutionnel cherchent un potentiel « gène hérité », impliquant alors la famille au sens large et rendant le patient responsable des données génétiques récoltées.7 Une maladie individuelle peut vite devenir une maladie familiale, risquant de mettre à mal le respect du secret médical.3

Le droit de ne pas savoir

Enfin de nouvelles questions se posent lorsqu’il y a une tension entre deux pôles. En effet, les démarches de la médecine prédictive et de la médecine de précision ne relèvent pas des mêmes considérations éthiques. Or, comme nous l’avons vu précédemment, au cours d’un examen relevant de la médecine de précision, on peut aboutir à des informations qui relèvent de la médecine prédictive.2,9

Cela pose la question des découvertes non sollicitées et du droit de ne pas savoir : les consentements sont-ils signés en connaissance de cause ? Sera-t-il possible de ne pas connaître son statut génétique constitutionnel alors qu’on souhaiterait avoir recours à un test de pharmacogénétique ? Dans certains cas il peut y avoir un intérêt évident à connaître en amont son état, mais qu’en est-il par exemple en cas de pathologies incurables ?2,9

Et les Big Data dans tout ça ?

De façon plus générale, la constitution de plateformes de stockage massif de données génomiques, appelées big data, pose les questions de la confidentialité, de la sécurité, de la conservation et de la diffusion de ces données.1

En effet pendant longtemps, la collecte des données de santé était réservée aux institutions publiques tandis qu’aujourd’hui, les big data sont dominées par des sociétés privées étrangères, dont les intérêts sont avant tout financiers, ce qui rend la question de la propriété et de l’utilisation de ces données primordiale.9

Avec les lois de bioéthique, la France s’est dotée d’un arsenal juridique, qui interdit aux assurances et aux banques l’accès aux données génétiques. Ainsi jusqu’à présent, contrairement aux établissements anglo-saxons, les banques françaises ne peuvent pas demander des tests génétiques pour accorder un prêt... cependant les demandes d’informations relatives à la santé sont de plus en plus fréquentes.9

Médecine prédictive et bonnes pratiques

En France, depuis les lois bioéthiques de 1994, les tests génétiques ne peuvent être réalisés que dans le cadre judiciaire, médical ou de recherche scientifique et à la condition que la personne concernée soit consentante.2

Avec le développement de la médecine prédictive, on pourrait craindre que les précautions prévues pour le traitement d’informations sensibles obtenues dans le cadre de l’oncogénétique ne soient court-circuitées lorsque ces informations sont obtenues dans le cadre d’un examen de pharmacogénétique.2

En 2013, des recommandations de bonnes pratiques ont été publiées par l’Agence de la biomédecine et la HAS. Elles s’appuient sur le dispositif juridique existant mais aussi sur d’autres recommandations d’experts (OCDE, Eurogentest, publications scientifiques...).1

Parmi ces bonnes pratiques, on retrouve par exemple le fait que les tests génétiques ne doivent être prescrits que lorsqu’ils ont une utilité clinique avérée et qu’ils sont souhaités par la personne. Le texte souligne également que l’exercice de la médecine prédictive basée sur les tests génétiques doit être protocolisé et réservé à des équipes entrainées (consultation individuelle, médecin expérimenté exerçant au sein d’une équipe pluridisciplinaire, bonne préparation de la personne à la réalisation du test...).1

Ces recommandations de bon sens vont parfois à l’encontre des pratiques récentes qui privilégient le transfert rapide des données scientifiques vers la clinique, sans passer par l’étape de validation…une tendance à rectifier dans le but de ne pas nuire aux personnes.1

Comme nous l’avons vu, la question de la place de la médecine prédictive dépasse le cadre strictement scientifique et soulève de nombreuses questions éthiques dont beaucoup restent en suspens. 

La médecine prédictive a incontestablement de l'intérêt, notamment dans le cadre de maladies d’origine entièrement génétique, mais elle se doit d’être éthiquement encadrée.

À l’avenir, l’objectif sera également de permettre de connecter les parcours de soins avec les banques de données afin de fournir des alertes précoces aux personnes concernées et ainsi accroître le potentiel d'une médecine prédictive et de précision.4

Références
  1. Regards sur la santé publique d’hier à aujourd’hui. ADSP n°100. Septembre 2017.
  2. De Montgolfier S. Quand médecine de précision et médecine prédictive s’entrecroisent : Quelles questions éthiques pour les professionnels et les patients ? Cahiers Droit, Sciences & Technologies 2019;8:31-40.
  3. Héren D, Gargiulo M. Tests génétiques et médecine prédictive : quels enjeux ? Laennec 2009/3 Tome 57. p. 21-38.
  4. Leem. La médecine : vision d’aujourd’hui et de demain. Disponible sur : https://www.leem.org/la-medecine-vision-daujourdhui-et-de-demain. Consulté le 17/10/2022.
  5. Angastiniotis M, Kyriakidou S & Hadjîminas M. Comment on a endigué la thalassémie à Chypre. Forum mondial de la santé 1986 ;7 :308-315.
  6. Dr. Eleftheriou. À propos de la thalassémie.2007.
  7. Données massives, big data et santé publique. ADSP n°112. Septembre 2020.
  8. INCa. Limites et enjeux de la médecine de précision. Disponible sur : https://www.e-cancer.fr/Comprendre-prevenir-depister/Comprendre-la-recherche/La-medecine-de-precision/Limites-et-enjeux. Consulté le 17/10/2022.
  9. Médecine prédictive : vaut-il mieux prévenir que guérir ? Réponse avec Hervé Chneiweiss, président du comité d’éthique de l’Inserm. National Geographic. Publication 31 janvier 2019. Disponible sur : https://www.nationalgeographic.fr/sciences/2019/01/medecine-predictive-vaut-il-mieux-prevenir-que-guerir. Consulté le 17/10/2022.

MAT-FR-2204267 - 10/2022