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Où en est la recherche ? Et quelles sont les perspectives thérapeutiques ? Voici quelques éléments de réponse en 5 points clés.

1. Le microbiote : un acteur clé du métabolisme énergétique

Le microbiote intestinal joue un rôle prépondérant sur le métabolisme.

Dans les études menées sur des rongeurs axéniques, on observe qu’en l’absence de toute bactérie dans le tractus intestinal, ceux-ci doivent consommer 30 à 50 % de nourriture en plus pour survivre... Et ils présentent une immaturité de la vascularisation et de l’innervation gastro-intestinales, ainsi qu’une atrophie de leurs organes.1

Chez l’homme, l’équipement enzymatique de l’organisme n’est pas capable d’hydrolyser tous les aliments complexes.

Les fibres alimentaires, par exemple, ne sont pas dégradables par les amylases salivaires ou pancréatiques. Mais la fermentation de ces fibres va conduire à la synthèse par le microbiote de métabolites de petit poids moléculaire, notamment des acides gras à chaine courte (AGCC : acétate, propionate, butyrate...), qui eux pourront pénétrer dans les cellules de la muqueuse intestinale.1

Ces AGCC seront utilisés par la muqueuse intestinale comme substrats énergétiques ou comme précurseurs dans les mécanismes de lipogenèse et de néoglucogenèse.1,2

Le microbiote joue ainsi un rôle essentiel dans la récupération d’énergie à partir des aliments.1 Et, au-delà de son rôle dans la digestion, le microbiote intestinal participe à de nombreuses autres fonctions métaboliques : biosynthèse de vitamines, régulation du métabolisme des acides et sels biliaires, régulation du métabolisme de la choline ou encore métabolisme de certains acides aminés et de certains xénobiotiques...2

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2. De la dysbiose au diabète

Les patients atteints de diabète de type 2 (DT2) présentent une dysbiose : leur microbiote intestinal est moins diversifié et sa composition est altérée.

Dans une récente étude, on a en effet pu observer moins de bactéries produisant du butyrate, (un acide gras qui améliore la sensibilité à l’insuline) et une modification du ratio Firmicutes/Bacteroidetes, associée au phénotype d’insulinorésistance.3 D’autres travaux suggèrent que la dysbiose pourrait favoriser l’insulino-résistance.4

Il a également été montré que le transfert du microbiote intestinal d’individus non diabétiques vers des patients atteints de DT2 permettait d’augmenter leur sensibilité à l’insuline et de diminuer significativement leur taux d’hémoglobine glyquée.5 Et le traitement de la dysbiose par certains prébiotiques contribuerait à réduire l’endotoxémie métabolique et l’inflammation.1,6

Le microbiote pourrait également jouer un rôle dans la survenue de l’obésité. Ainsi, 40 % des personnes obèses - et 70 % dans le cas d’une obésité sévère - présentent un microbiote appauvri versus 20 % en population générale.1

La transplantation de microbiote fécal provenant de jumeaux (l’un obèse, l’autre non) chez des souris va induire une prise de masse grasse significativement supérieure chez celles qui ont reçu le microbiote du jumeau obèse.1,6

Plusieurs mécanismes impliquent le microbiote intestinal dans la régulation pondérale et aident à expliquer l’association entre microbiote et obésité : extraction énergétique au cours de la digestion, production de métabolites induisant la libération d’entérohormones impliquées dans la prise alimentaire ou encore passage de certains composants microbiens dans le cerveau pour activer les centres de la satiété.1

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3. Le microbiote est au cœur de l’axe intestin-cerveau

L'axe "intestin-cerveau" est défini par les interactions fonctionnelles entre le cerveau et le tube digestif, avec des effets des fonctions cérébrales sur le système digestif et vice versa.7 Cet axe est particulièrement sensible aux facteurs présents au sein de la lumière du tube digestif, et notamment au microbiote intestinal : on parle même aujourd'hui d'axe « microbiote-intestin-cerveau ».1

La dysbiose peut nuire à la bonne communication entre l'intestin et le cerveau via différents mécanismes : altération de la barrière intestinale, libération de fragments bactériens pro-inflammatoires et de substances neurotoxiques...

Chez l’homme, l'absence de microbiote peut induire des modifications du comportement, des déficits de mémoire ou encore des atteintes dans les interactions sociales. Des données récentes décrivent des altérations du microbiote intestinal dans de nombreuses pathologies psychiatriques (dépression, addiction, autisme...).

Ces découvertes ouvrent de nouvelles voies thérapeutiques : l’alimentation, la transplantation de microbiote intestinal, l’apport de probiotiques pourraient améliorer la qualité du microbiote. Mais les effets bénéfiques de ces thérapeutiques sur la symptomatologie psychiatrique restent encore à démontrer...1

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4. Quand dysbiose rime avec dépression et addiction

La composition du microbiote des patients atteints de dépression est différente de celui d’individus en bonne santé. Et cette dysbiose serait responsable de perturbations au niveau du système sérotoninergique intestinal par l’intermédiaire de différents médiateurs1, ce qui pourrait expliquer en partie les symptômes dépressifs.8

Si l'on transfère le microbiote fécal de patients dépressifs chez un animal, celui-ci adoptera des comportements de type anxieux et dépressif.1 Cependant, les conséquences précises des altérations du microbiote sur la dépression ne sont pas encore élucidées et d’autres travaux sont nécessaires avant de pouvoir envisager des pistes thérapeutiques chez l’homme.7,9

Une dysbiose est également retrouvée en cas d’abus d’alcool.7 Comment l’alcool peut-il ainsi agir sur le microbiote ? D’abord par sa faculté d’altérer la barrière intestinale, ce qui favorise la translocation d'endotoxines bactériennes de la lumière du tube digestif vers la circulation sanguine entraînant une inflammation périphérique.9 Cette inflammation est corrélée à la sévérité de la dépression, de l'anxiété et de l'appétence à l'alcool et pourrait également avoir des répercussions sur certaines zones cérébrales impliquées dans les performances cognitives, le comportement social, le stress et le contrôle des émotions.1

Le 2ème mécanisme implique la production par les bactéries intestinales de métabolites neuroactifs et de neurotransmetteurs qui pourraient influencer la neurotransmission dopaminergique impliquée dans le phénomène de récompense aux drogues.1

Même si les études précliniques et cliniques ont pu montrer des résultats prometteurs, notamment via la transplantation de microbiote fécal, les mécanismes d’action de celle-ci ne sont pas encore décrits1 et d’autres études doivent être menées pour préciser le rôle du microbiote dans l’addiction à l’alcool et les éventuelles pistes thérapeutiques dont il pourrait être la cible.6

Lire aussi : Microbiote et pathologies mentales : où en est-on ?

5. En pratique, comment prendre soin de son microbiote ?

Le Pr. Harry Sokol, spécialiste du microbiote (AP-HP, INSERM, INRA) coordonne le Centre de Transplantation de microbiote fécal de l’AP-HP et la Fédération hospitalo-Universitaire PaCeMM (Paris Center For Microbiome Medicine).

Il recense plusieurs facteurs qui peuvent avoir un effet bénéfique ou délétère sur le microbiote.

« Une alimentation riche en fibres permet de stimuler les bonnes bactéries de l’intestin. À l’inverse, les aliments ultra-transformés peuvent agresser le microbiote intestinal via les additifs qu’ils contiennent, explique le Pr. Sokol. La consommation trop fréquente de viande rouge ou de charcuterie est aussi à éviter, car ces aliments vont stimuler des bactéries pro-inflammatoires.

Si on devait résumer, je dirais que le régime idéal pour le microbiote est probablement le régime méditerranéen : il est riche en fruits et légumes, pauvre en protéines d’origine animale (sauf le poisson), il contient un peu d’aliments fermentés et bien sûr aucun aliment ultra-transformé. » 1,10

Mais l’alimentation n’est pas le seul facteur. Certains médicaments pris au long cours ou de façon répétée peuvent perturber le microbiote. De façon plus large, le mode de vie peut également avoir un effet sur le microbiote.1,10

« Concernant les pistes thérapeutiques pour rééquilibrer le microbiote, nous avons les probiotiques, et plus particulièrement les probiotiques de nouvelle génération - ou PNG - qui sont encore en développement1, précise Harry Sokol.

Les PNG sont des micro-organismes identifiés dans l'intestin humain et sélectionnés selon des critères particulièrement rationnels et pertinents.1 Ils permettraient d'apporter des bonnes bactéries à l'organisme.11,12

Nous pouvons aussi évoquer certains virus, les phages, qui peuvent être utilisés pour s’attaquer spécifiquement à certaines mauvaises bactéries, sans causer de dommages collatéraux sur les autres bactéries.13

Enfin, il faut citer la transplantation de microbiote fécal qui a pour objectif d'apporter un écosystème complet à un individu et qui n’est aujourd’hui indiquée que dans les infections multirécidivantes à Clostridioides difficile.14,15

Pour conclure, je dirai cependant qu'il est important de ne pas créer de faux espoirs sur des perspectives thérapeutiques illusoires alors que nous nous posons encore de nombreuses questions qui restent pour l'instant sans réponse... »1

Écouter aussi : Microbiote et transplantation fécale : applications actuelles et perspectives, le podcast interview du Pr. Harry Sokol, Gastroentérologue et co-directeur de l'équipe « Microbiote, Intestin et inflammation » (INSERM CRSA)

Références
  1. Jean-Michel Lecerf, Nathalie Delzenne. Microbiote intestinal et santé humaine. Elsevier Masson, 2021.
  2. Le microbiote intestinal. Bull. Acad. Natle Méd., 2014, 198, no 9, 1667-1684, séance du 9 décembre 2014.
  3. Oussalah A. Microbiote intestinal et dysfonction métabolique. La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue. 2018 ;21 (1) : 28-54.
  4. INSERM. Information presse du 1er décembre 2020. Un dérèglement du microbiote est associé à la formation d’une molécule favorisant le diabète de type 2.
  5. Burcelin R et al. Microbiotes et maladies métaboliques. De nouveaux concepts pour de nouvelles stratégies thérapeutiques. Médecine/sciences 2016 ; 32 : 952-60
  6. Aron-Wisnewsky J et al. Microbiote et obésité : données cliniques et chirurgicales. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition. 2015 ; 19 (5-6) : 132-6.
  7. Cryan JF et al. The Microbiota-Gut-Brain Axis. Physiol Rev. 2019;99(4):1877-2013.
  8. Chang L et al. Brain–gut–microbiota axis in depression: A historical overview and future directions. Brain Research Bulletin. 2022;182:44-56.
  9. Barandouzi Za et al. Altered Composition of Gut Microbiota in Depression: A Systematic Review. Front Psychiatry. 2020;11:541.
  10. Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Note n°33. Le microbiote intestinal, février 2022.
  11. Depommier C et al. Supplementation with Akkermansia muciniphila in overweight and obese human volunteers: a proof-of-concept exploratory study. Nat Med.2019;25(7):1096-103. 
  12. Sokol H et al. Faecalibacterium prausnitzii is an anti-inflammatory commensal bacterium identified by gut microbiota analysis of Crohn disease patients. Proc Natl Acad Sci USA.2008;105(43):16731-6. 
  13. Federici S et al. Targeted suppression of human IBD-associated gut microbiota commensals by phage consortia for treatment of intestinal inflammation. Cell.2022;185(16):2879-2898.e24.
  14. Sokol H et al. Fecal microbiota transplantation to maintain remission in Crohn’s disease: a pilot randomized controlled study. Microbiome.2020;8(1):12.
  15. Benech N et al. Fecal microbiota transplantation in gastrointestinal disorders: time for precision medicine. Genome Med. 2020;12(1):58.

MAT-FR-2204795 - 04/2023